Blog de droit à vocation pédagogique

jeudi 30 novembre 2006

Refus de soins/CMU-L3

Couverts par la CMU, mais mis à la porte des soins

Libération
QUOTIDIEN : jeudi 30 novembre 2006

Le comité d'éthique dénonce la «passivité» de l'ordre des médecins face à des discriminations sociales ouvertement assumées par de plus en plus de praticiens.
Par Sandrine CABUT

«C 'est la question la plus terrifiante, la plus antiéthique qui soit : le refus de soins aux bénéficiaires de la CMU [couverture maladie universelle, ndlr]. Comment peut-on laisser faire ça ? » s'enflamme Martin Hirsch. La scène se passe mardi matin, dans le grand amphithéâtre de la faculté de médecine d'Odéon, à Paris, où se tiennent les Journées annuelles d'éthique. La sortie du président d'Emmaüs France, convié pour disserter de «la place de la pauvreté et de l'exclusion dans les données modélisables», a des allures d'électrochoc. Le président du Comité d'éthique embraye, se dit «indigné» par la passivité du conseil de l'ordre des médecins (lire page suivante).
Testing. Enfin ! Longtemps ignorées, ou plutôt tolérées, par le milieu médical et les pouvoirs publics, ces discriminations ont été dénoncées avec vigueur ces dernières semaines. Beaucoup de patients sont potentiellement concernés : la CMU, entrée en vigueur en 2000, est censée aider 4,8 millions de personnes à faibles revenus à accéder à des soins gratuits.
Une enquête diligentée par le Fonds CMU et publiée cet été a jeté le pavé dans la mare. Un testing téléphonique auprès de plus de 200 praticiens dans le Val-de-Marne montrait que 41 % des spécialistes, 39 % des dentistes et 5 % des généralistes refusaient de recevoir des bénéficiaires de la CMU. Ils prétextaient souvent un carnet de rendez-vous plein, mais acceptaient les consultations pour d'autres patients. Las d'interpeller sans succès le conseil de l'ordre des médecins depuis deux ans, le Collectif des médecins généralistes pour l'accès aux soins (Comegas) a saisi la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). La polémique a enflé, d'autant qu'une autre enquête par testing, menée par Médecins du monde, a confirmé l'ampleur des dégâts. Quatre généralistes sur dix refusent leurs soins aux bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat, un sur dix en cas de CMU (lire ci-dessous). Début novembre, la Halde a donc interpellé le ministre de la Santé pour qu'il prenne «les mesures nécessaires et appropriées pour mettre un terme à ces pratiques discriminatoires».
Xavier Bertrand ne peut découvrir la situation. Publiée en mars 2004, une étude de son ministère notait que 15 % des bénéficiaires interrogés avaient déjà essuyé un refus d'un professionnel de santé pour cause de CMU. Elle soulignait que ces pratiques discriminatoires étaient largement plus répandues chez les spécialistes et les dentistes que chez les généralistes. En septembre 2006, un rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale avait aussi consacré un chapitre au refus de soins. «La question de l'accès à la CMU mérite d'être traitée avec plus d'attention», concluait la Cour, pas davantage entendue.
«Inacceptable». Après l'interpellation de la Halde, Xavier Bertrand a enfin réagi et commandé une enquête à l'Inspection générale des affaires sociales, qui doit lui être remise aujourd'hui. Il s'est aussi tourné vers le conseil de l'ordre, censé sanctionner les praticiens contrevenant aux règles déontologiques. Rappelant le «caractère inacceptable» des refus de soins, le ministre de la Santé réclame au président de l'ordre des «mesures plus énergiques» à l'encontre des fautifs. La Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente les hôpitaux publics, met elle aussi en cause l'instance ordinale. Et vient d'appeler l'ordre à se saisir «immédiatement» du problème et à mettre en oeuvre «un dispositif et des sanctions suffisamment dissuasives pour faire cesser des méthodes qui bafouent nos principes républicains». «Je suis scandalisé par les médecins qui refusent les soins, et je suis aussi choqué qu'un représentant départemental de l'ordre puisse tenter de justifier cette attitude par le libre choix du médecin (1) » expliquait hier à Libération Claude Evin, président de la FHF.
«Nous ne nions pas l'existence de discriminations, mais les enquêtes par testing sont discutables et donnent des résultats exagérés, tempère Gérard Zeiger, vice-président du conseil national de l'ordre. Il est vrai qu'un médecin ne peut refuser des soins du seul fait de la CMU, et nous avons rappelé cette obligation déontologique dans notre bulletin.» Il insiste cependant sur les «difficultés évidentes» de l'application de la loi. Selon lui, nombre de bénéficiaires de la CMU ne sont pas inscrits dans le parcours de soins, ce qui «pénalise» financièrement le médecin qui les prend en charge. Beaucoup ne seraient pas à jour de leur carte Vitale, entraînant des difficultés de règlement de la consultation...
Sanctions. «Les patients CMU sont des patients comme les autres, mais ils doivent se comporter comme les autres», juge encore le Dr Zeiger, qui demande à l'Assurance maladie de «simplifier les modalités». Le conseil de l'ordre ajoute qu'il n'est qu'exceptionnellement saisi des problèmes. En six ans, seuls deux praticiens ont été sanctionnés, suite à des plaintes de caisses primaires d'assurance maladie. La FHF envisage la création de médiateurs sur les questions de l'accès aux soins. Quant à l'Assurance maladie, elle étudie un système de plateforme téléphonique où les patients peuvent s'informer sur les fourchettes de tarifs pratiqués par des médecins. Testé dans six départements, le dispositif doit se généraliser en 2007.
(1) En septembre, dans une lettre du conseil de l'ordre des Yvelines, le Dr Prudhomme, expliquait qu'au terme d'un premier entretien, le médecin doit rester libre de décider s'il accepte de prendre en charge définitivement un patient.